L'époque de Djemdet-NasrLes premières écritures
L'urbanisation
Les changements se poursuivent à l'époque suivante (3150-2900), dite d'Ourouk III, ou de Djemdet-Nasr, du nom d'un site à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Babylone.
Les sites, jusque-là dispersés, ont d'ailleurs tendance à se regrouper le long des cours d'eau, et de nombreux villages disparaissent au profit d'agglomérations plus grandes et mieux structurées. Cette urbanisation s'accompagne d'une plus grande stratification de la société sumérienne. Du point de vue de la culture matérielle, l'époque de Djemdet-Nasr est celle de la mise au point d'un nouveau type de céramique, à décor trichrome fait de motifs géométriques.
L'écriture
L'usage de l'écriture commence à se généraliser, et les sceaux-cylindres servant à signer les documents remplacent les simples cachets. La hiérarchisation sociale, commencée à l'époque d'Ourouk, semble se cristalliser et il se dessine des «classes», telles que celles des prêtres, des scribes, des artisans et des soldats. C'est dans ce contexte de bouillonnement culturel et de changements économiques et sociaux que va s'épanouir la civilisation sumérienne.
La période protodynastiqueLa basse Mésopotamie
A l'aube du III e millénaire, la basse Mésopotamie se divise en autant de territoires qu'il y a de cités importantes. Celles-ci rayonnent chacune sur une périphérie composée de petites bourgades et constituent de multiples unités indépendantes, sortes de capitales qui fonctionnent à l'image des cités-Etats. On y trouve un pouvoir central, à détenteur unique, autour duquel gravitent des vicaires, des officiers et des administrateurs. Leurs chefs portent les titres de roi (lougal), de prince (ensi), ou encore, comme à Ourouk, celui de seigneur (en).
Le système politique sumérien des cités-Etats prévaut de 2900 à 2340. Cette période longue de plus de six siècles est appelée par les archéologues la période protodynastique, ou encore la période des Dynasties archaïques.
Cependant, le schéma politique d'une royauté bien établie n'est peut-être pas constant pendant toute la période sumérienne. La plus ancienne des inscriptions royales - celle d'Enmebaragesi, roi de Kish - date de 2700. Au-delà, ni l'archéologie ni l'épigraphie ne permettent d'éclairer la période de formation de la royauté. L'interrogation porte encore sur la façon dont le pouvoir, vraisemblablement de nature théocratique à l'époque d'Ourouk, a fini par échoir à des souverains.
Tout porte à croire que, au début du III e millénaire, sans que l'on sache trop comment, le chef religieux (grand prêtre ou prêtre-roi) partage le pouvoir avec un chef séculier. Celui-ci, souverain, veille toutefois à s'assurer une légitimité religieuse et agit en tant que mandataire du dieu principal de la cité. Dépossédé du pouvoir politique, le temple n'en garde pas moins une grande importance économique.
Le temple, réservoir des ressources
A Girsou, les archives du temple de la déesse Bawa (vers 2500-2400) nous apprennent que les sanctuaires avaient gardé la haute main sur l'économie de la cité. Sur les 4 500 ha de terres cultivables qu'ils gèrent, le quart sert aux besoins propres du culte. Les trois quarts restants sont subdivisés en champs: les uns sont destinés à l'entretien du personnel, tandis que les autres sont affermés et parfois attribués en usufruit à quelques catégories de dignitaires, fonctionnaires et employés. Le temple garde une partie de ces revenus pour les années de disette et en échange une autre contre des matières premières importées. Il en redistribue, enfin, une troisième partie sous forme de rations à la population, mais aussi au souverain et à sa famille, aux artisans, aux militaires, aux fonctionnaires et à divers autres agents de l'Etat.
L'administration
Afin de mener à bien une telle tâche, le temple dispose d'une véritable administration avec comptables et «bureaucrates». Les archives de Girsou nous renseignent ainsi sur la précision et la complexité des règles de gestion adoptées par l'administration religieuse. Sous l'autorité d'un prêtre administrateur (shanga), des scribes, des contremaîtres (ugula), des intendants (nu-banda), des vérificateurs (agrig) et des inspecteurs (mashkim) veillent à la bonne marche des exploitations.
La propriété foncière
Ce système hybride où cohabitent un pouvoir politique dévolu à des séculiers et un pouvoir économique contrôlé par le temple a-t-il prévalu dans toutes les cités sumériennes? Des contrats en provenance de Shourouppak (aujourd'hui Fara) donnent une tout autre image de la répartition foncière dans la cité: il semble que les particuliers pouvaient y acquérir des champs et les exploiter eux-mêmes sans intervention aucune du temple. Cela veut-il dire que, contrairement au Sud, le centre et le nord du pays de Sumer connaissaient la propriété privée? Nul ne le sait, mais ce qui peut être tenu pour certain et dont l'archéologie et l'épigraphie témoignent de façon évidente, c'est que temple et palais ont cohabité tout au long de la période sumérienne.
Cependant, nous savons encore très peu de chose de la nature et de la réalité des rapports entre le politique et le monde du divin. Il est probable qu'à un moment ou à un autre, dans telle ou telle cité-Etat, il y eut compétition entre ces deux formes de pouvoir. A Lagash, par exemple, les inscriptions d'Ourouinimgina expliquent qu'au temps du roi Lougalanda le temple vit ses biens spoliés par le souverain.
L'armée
Comme toutes les histoires politiques, celle de Sumer fut une succession de conflits armés qui opposaient les principautés les unes aux autres ou, plus rarement, les unissaient face à un ennemi commun. Les Sumériens excellèrent dans l'art de la guerre. Ils furent les premiers à disposer de troupes organisées et à élaborer de véritables techniques militaires. En général, leurs conflits avec les voisins obéissaient à des motifs économiques: besoins de matières premières, incidents liés au tracé des frontières, problèmes de partage de l'eau. La gloire, les ambitions personnelles des rois, voire la religion, provoquèrent aussi des rivalités. Les archives sumériennes connues ne couvrent que partiellement les événements qui marquèrent l'histoire politique au cours de la période des cités-Etats.
La première guerre
Ayant été consignée, il semble qu'elle soit celle que livra, vers 2680, Enmebaragesi de Kish à ses voisins élamites. Peu après, vers 2600, un autre Kishien, l'ensi Uhub, fait inscrire sur un vase dédié au dieu Zababa qu'il est le vainqueur de Hamazi, ville située au nord de la Diyala.
Vers 2550, Kish se distingue encore. Cette fois-ci, son souverain, Mesilim, étend son autorité sur les villes de Lagash et d'Adab. L'hégémonie kishienne doit cependant céder à celle d'Our; ce port fluvial, situé sur l'Euphrate, connut son premier apogée sous le règne de Mesanepada. Celui-ci fit main basse sur Nippour, prit Kish et se rendit maître de la plus grande partie de la basse Mésopotamie. Son influence semble s'étendre jusqu'à Mari, sur le haut Tigre, dans la future Assyrie.
Au XXV e siècle, ce fut au tour de Lagash de connaître la gloire. Son roi, Ennatum, aurait vaincu les Elamites et pris Mari, Our, Ourouk et Kish. Un de ses exploits sur lequel nous sommes bien informés se rapporte à un conflit frontalier avec la cité d'Oumma. Triomphant, Ennatum commémore sa victoire par la stèle dite des Vautours, aujourd'hui déposée au Louvre.
Oumma se vengera plus tard, sous le règne de Lougalzagesi. Celui-ci conquit Lagash, Ourouk, Our, Kish et parvint, pour la première fois dans l'histoire mésopotamienne, à unifier tout le pays de Sumer.
Une économie agropastorale
Dans un pays principalement constitué d'eau, de limon et d'argile, l'économie sumérienne, comme aux temps de la culture d'Obeïd, s'est entièrement constituée autour de l'hydroagriculture et de l'élevage. Irrigués par des canaux dérivés des fleuves Tigre et Euphrate, les sols alluvionnaires de la basse Mésopotamie se prêtent fort bien à la céréaliculture.
Outre l'engrain (Triticum monococcum), présent dès le V e millénaire, les Sumériens cultivent le blé amidonnier (T. dicoccum), le blé dur (T. durum) et surtout l'orge. A côté des céréales, les textes mentionnent les cultures de pois, les fèves, le concombre, l'ail, l'oignon, le poireau, les dattes et font état d'élevages bovin et ovin. Ce complexe agropastoral assure aux Sumériens des surplus exportables ou du moins échangeables contre des produits étrangers.
Le rayonnement commercial
Les contacts commerciaux de Sumer avec les pays voisins ou lointains nous sont révélés aussi bien par l'épigraphie que par l'archéologie. De nombreuses tablettes font état d'importations sumériennes de bois, d'or, de cuivre, d'argent, d'étain, de lapis-lazuli et d'autres pierres précieuses depuis Dilmoun, Makkan et Meluhha.
Dilmoun, mentionnée dans les textes d'Our-Nanshe, roi de Lagash vers 2550, a été identifiée avec l'île de Bahreïn; Makkan, centre d'où l'on importait cuivre et bois, avec la péninsule d'Oman. Meluhha, enfin, se situait dans la région de la vallée de l'Indus. De récentes découvertes archéologiques sont venues confirmer cette ouverture sur l'extérieur du monde sumérien.
La découverte de céramique protodynastique dans les cairns d'Abqayq (dans l'actuelle Arabie Saoudite), à Tarout et à Hili (aujourd'hui dans les Emirats arabes) atteste les relations entretenues entre Sumer et les pays du Golfe. De nombreux vases en chlorite, en stéatite, en albâtre, découverts dans les sites mésopotamiens, semblent provenir d'Iran, des côtes d'Arabie et peut-être même d'Egypte. La lazurite, hautement prisée lors de l'époque protodynastique, était selon toute vraisemblance importée du Badakhchan, sur le territoire du Tadjikistan actuel.
Les données de l'archéologie viennent étayer également l'hypothèse de contacts et d'échanges avec les cités de la vallée de l'Indus. Sceaux et perles harappéens ont été trouvés en basse Mésopotamie. De même, à Mohenjo-Daro, on aurait découvert des bijoux de facture sumérienne.
Un artisanat inventif
Tous les matériaux importés trouvent emploi dans la fabrication de biens de prestige destinés à une élite urbaine de plus en plus prépondérante. Pour répondre à des besoins nés de la différenciation de la société, les artisans mettent au point de nouvelles techniques.
Dans le domaine de la métallurgie, leur capacité d'innovation fut telle qu'ils surclassèrent tous leurs contemporains. Cette suprématie se traduit à la fois par la maîtrise des procédés d'alliage et par celles des techniques de fabrication. La première, confirmée par les recherches archéométriques, repose sur la multiplication des alliages volontaires: binaires (cuivre-arsenic et cuivre-plomb), ternaires (cuivre-arsenic-étain) et même quaternaires (cuivre-arsenic-étain-plomb).
Du point de vue des techniques, la variété des procédés (martelage, moulage, fonte à la cire perdue) permit la fabrication d'une large gamme de produits: des armes, des outils, des statuettes, des figurines, des vases, etc.
L'orfèvrerie
Les Sumériens furent aussi d'excellents orfèvres. Ils maîtrisaient les techniques d'incision, de gravure, de cloisonné et de repoussé. On leur doit l'invention de deux techniques remarquables: le filigrane et la granulation. Auparavant inconnue, la fabrication de fils et de grains d'or permit aux orfèvres sumériens de confectionner des bijoux d'une beauté remarquable. Parmi les pièces exhumées, pour la plupart dans les tombes royales d'Our, certaines sont de véritables chefs-d'œuvre.
Ainsi en est-il d'un poignard en or emmanché d'une poignée en lapis-lazuli sertie de clous d'or, de son fourreau à décor en granulation et en filigrane, d'un casque dit «de Meskalandug» et de bien d'autres objets aujourd'hui déposés dans les musées de Bagdad, de Philadelphie et de Londres.
Les artisans sumériens exprimèrent également leur créativité sur des matériaux moins nobles. Ainsi, parmi les œuvres d'arts mineurs, on trouve des plaques de coquilles gravées de dessins dont les traits étaient remplis d'une pâte noire ou rouge. Encastrées dans des tables de jeu ou dans les tables d'harmonie des lyres, elles faisaient office de mosaïque. Ces productions artisanales répondaient aux besoins ordinaires de la société sumérienne.
L'architecture, la glyptique et la céramique
En matière d'architecture, l'innovation consiste dans l'utilisation d'une brique planoconvexe (une face plate, l'autre bombée) séchée au soleil et appareillée en arête de poisson. De même, l'habitude fut prise de dresser les sanctuaires sur des plates-formes. Les temples à plan tripartite furent progressivement remplacés par des bâtiments à cour centrale entourée de nombreuses pièces. Aussi, à Khafadje, à El-Obeïd et à Lagash furent construits des sanctuaires inscrits dans des enceintes ovoïdes. Des changements affectèrent aussi la glyptique.
Nouveaux thèmes iconographiques
De nouveaux thèmes devinrent alors prépondérants dans l'iconographie des sceaux-cylindres: des banquets rituels et des scènes de combat où figuraient des monstres, parfois des êtres hybrides (aigle léontocéphale, taureau androcéphale, homme-taureau).
La période protodynastique voit aussi l'évolution de l'art céramique. C'est ainsi qu'à la poterie écarlate - poterie peinte de motifs rouges sur fond beige - de l'époque de Djemdet-Nasr succède une céramique tournée non peinte (jarres à anses verticales, plats sur pied) mais cependant ornée de torsades et d'incisions.
Les œuvres en relief consistent le plus souvent en une mise en scène d'adorants banquetant ou priant. Les statues, anguleuses et fort stylisées au début de la période protodynastique, s'humanisent ensuite et deviennent plus réalistes.
Les Sumériens se distinguent également dans l'art du bas-relief. Dans ce domaine on ne peut que citer, derechef, la célèbre stèle narrant sur plusieurs registres la victoire d'Ennatum de Lagash sur la ville rivale d'Oumma. Cependant, les bas-reliefs sumériens les plus répandus semblent avoir été de petites plaques calcaires carrées, percées d'un trou central et servant vraisemblablement de bases aux offrandes que les fidèles déposaient dans les temples. Ces pièces, conformément à leur destination, représentent des scènes de piété et mentionnent les dédicaces des adorateurs.