La philosophie du Moyen Age, telle qu'elle fut enseignée dans les écoles ecclésiastiques et les universités d'Europe jusqu'au XVII e siècle, et qui, de ce fait, est encore appelée scolastique, est dominée par la recherche de l'accommodation de la philosophie grecque avec la doctrine chrétienne. Héritière, pour l'essentiel, du christianisme, la pensée médiévale a ses racines dans une théologie qui se présente comme l'achèvement des doctrines de Platon, d' Aristote, ainsi que des stoïciens. Les grands penseurs du Moyen Age sont avant tout préoccupés de concilier la philosophie païenne des Grecs et la pensée religieuse des trois grands monothéismes: d'abord et avant tout, celui du christianisme triomphant, mais aussi, antérieurement, celui du judaïsme et, dès le VII e siècle, celui de l'islam. Le christianisme, s'appuyant sur la raison divine grâce à la Révélation, prétend conduire la philosophie à sa plénitude, la philosophie païenne, cherchant la vérité à l'aide des seules ressources de la raison humaine, étant considérée comme incapable d'accéder à la vérité.
Christianisme et philosophie grecque
Dès les premiers siècles, pour les apologistes tels que Justin (100-165), «les plus vieux philosophes» étaient, avant Platon, les prophètes de l'Ancien Testament. Outre les mythes de Phédon et du Timée, c'est le néoplatonisme de Plotin (205-270), de Porphyre (233-304) et de Jamblique (vers 250-vers 330) qui va d'abord irriguer philosophiquement le christianisme.
Les trois grands Cappadociens, au IVe siècle (Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse) et saint Ambroise (340-397), qui fut le maître de saint Augustin, coupèrent le christianisme de ses racines juives (l'Ancien Testament) pour le greffer sur la philosophie grecque. Ils ont ainsi consacré cette philosophie comme préchrétienne, au point que Pascal conseillera plus tard: «Platon, pour disposer au christianisme.» Du même coup, ils ont laïcisé le christianisme en tant que philosophie, l'exposant dès lors aux discussions et aux débats. Le Moyen Age fut ainsi un temps d'effervescence et de tumulte idéologiques, d'hérésies de toutes sortes, de condamnations et d'excommunications.
Saint Augustin
Le premier maître à penser du Moyen Age chrétien, Augustin (354-430), «le saint docteur», combattit sans ménagement les gnostiques, les manichéens, les pélagiens et les donatistes. Métaphysicien de la mémoire, grand explorateur de la vie intérieure, il s'illustra comme le champion de la grâce et de la prédestination, s'employant à prouver que nous naissons tous souillés du péché originel. Farouche gardien du mystère de la Trinité (un seul Dieu en trois personnes), il composa, à la fin de sa vie, des Rétractations par lesquelles il reniait sa philosophie première au profit d'une théologie trinitaire strictement biblique. La diversité de ses écrits donna naissance à des courants opposés: ainsi, le bénédictin Gottschalk, condamné par Raban Maur en 848, enseignait la prédestination sans la grâce, et Jean Scot Erigène (vers 810-vers 880), qui combattit Gottschalk, professait, comme Pélage, la liberté humaine, assurant que «la vraie religion n'est autre que la vraie philosophie». Or tous deux se réclamaient de saint Augustin.
Les philosophes juifs et arabes
Au IX e siècle, l'aristotélicien al-Kindi (796-873) est le premier penseur arabe à mériter le nom de philosophe. Définissant la métaphysique comme «la science de ce qui n'est pas mobile», il fut le maître d'al-Farabi (vers 872-950), qui tentera la première grande synthèse de Platon et d'Aristote, et qu'on surnommera le «second maître» (Aristote étant le premier). A la même époque, le néoplatonisme reste en honneur chez le penseur juif égyptien Isaac Israeli (865-vers 955), avant de céder la place, chez Avicebron de Málaga (vers 1020-vers 1058), à un panthéisme associé au Dieu de l'Ancien Testament. Mais avec Moïse Maimonide, né à Cordoue et mort au Caire (1135-1204), s'amorce un retour à Aristote, qui s'affirmera au XIIIe siècle dans l'œuvre de saint Thomas d'Aquin.
De leur côté, les mutazilites des écoles de Bassora et de Bagdad, généralement considérés comme «les libres penseurs de l'Islam» (du VIII e au X e siècle), professent l'unicité de Dieu, la liberté de l'homme et son pouvoir d'atteindre la vérité par la raison. Avec Avicenne (980-1037), dont l'ouvrage capital (le Kitab al-Chifa) embrasse la logique, la mathématique, la physique et la métaphysique, s'achève la philosophie musulmane dans la partie orientale de l'Islam. Le mystique al-Ghazali (1059-1111), après avoir étudié la philosophie, la combat dans son livre Tahafut al-Falasifa, qui, traduit en latin, a exercé une grande influence sur la pensée latine au Moyen Age. Il sera combattu à son tour par le plus grand des commentateurs d'Aristote, Ibn Ruchd, plus connu sous le nom d'Averroès (1126-1198). La philosophie arabe renaîtra avec Ibn Khaldun (1332-1406), qui jettera les bases d'une anthropologie rationnelle.
Abélard, Sebond et Lulle
A Paris, au XIIe siècle, Pierre Abélard (1079-1142), pour qui les penseurs de l'Antiquité préfigurent la doctrine chrétienne, soutient que la raison doit fonder la foi. Sur la question de la Trinité, appliquant à la théologie la dialectique «à laquelle il appartient de discerner le vrai du faux», il conclut que les trois personnes ne sont que les trois attributs de Dieu, qui peut ce qu'il veut et qui veut ce qu'il sait être le meilleur. Abélard fut condamné par deux conciles pour avoir versé ainsi dans le sabellianisme, hérésie du III e siècle selon laquelle il n'y a en l'Être divin qu'une seule personne, les deux autres n'étant que des émanations du Père: «C'est le pur judaïsme», disait Basile de Césarée.
Raymond Sebond (mort en 1436), que Montaigne traduira en français, appartient à ce courant naturaliste qui passe par saint Bonaventure (vers 1221-1274) et le «Docteur illuminé» Raymond Lulle (vers 1235-vers 1315).
Saint Thomas d'Aquin
Au XIII e siècle, la personnalité de saint Thomas d'Aquin (1225-1274) domine la philosophie. Refusant la doctrine augustinienne de l'illumination divine, le «Docteur angélique» puise dans Aristote les moyens de concilier la raison et la foi afin de constituer la théologie comme science. En regard de l'augustinisme, seul souverain jusqu'au XIIe siècle, le thomisme prendra bientôt corps dans le monde catholique comme une réplique de la logique d'Aristote aux dialogues de Platon.
Le Moyen Age philosophique se clôt sur la publication de la Docta Ignorantia de Nicolas de Cues (1401-1464), de la Theologia platonica de Marsile Ficin (1433-1499), et sur la montée au bûcher (en 1415) de Jan Hus, qui avait traduit l'Evangile en tchèque et prêché la réforme de l'Eglise catholique. Désormais vont apparaître les grands humanistes et les réformateurs du XVI e siècle, qui reprocheront aux philosophes du Moyen Age d'avoir cédé le terrain au paganisme ( Erasme) ou d'avoir livré les clés de la théologie à la morale grecque ( Luther). En fait, la philosophie médiévale se traduit par la laïcisation de la théologie.