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 Les Lumières (1721/1781)

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Blackeu Viking
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MessageSujet: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 14:53

Les Lumières (1721/1781) MOD_LUM_000
La lecture des philosophes


Le siècle des Lumières est, en Europe, une période de grand essor scientifique et d'épanouissement de la raison critique. Les philosophes français, comme Rousseau, Diderot et Voltaire, énoncent des principes généreux sur le droit naturel, l'égalité entre les hommes, et disent la nécessité d'améliorer la société, de libérer les opprimés, d'instruire les pauvres.

Leurs théories inspirent le despotisme éclairé, qui suscite aussi bien les libérales maladresses de Joseph II d'Autriche et de certains princes allemands que les froids calculs de Frédéric II de Prusse ou les impostures de Catherine II de Russie. En France, le despotisme éclairé ne trouve pas à s'appliquer, et c'est finalement le peuple qui s'exprimera directement par l'insurrection de 1789.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:04

La philosophie des Lumières


Sens général de la notion
On a pris l'habitude de désigner sous cette expression la philosophie de l'Europe du XVIII e siècle (le « siècle des Lumières» en français, die Aufklärung ou the Enlightment en allemand et en anglais), caractérisée par la confiance en la raison (au moyen de laquelle les hommes peuvent, seuls, accéder à la connaissance), la critique des autorités traditionnelles (religieuses et politiques), l'invitation à penser et à juger par soi-même, l'optimisme qui comprend le mouvement de l'histoire comme le progrès parallèle du savoir, du bonheur et de la vertu. Selon cette présentation habituelle, ces traits constituent un horizon de pensée partagé par les principales philosophies de cette époque, malgré leurs différences.

Comme le dit Taine dans les "Origines de la France contemporaine": «Aux approches de 1789, il est admis que l'on vit dans le "siècle des Lumières", dans l'âge de raison, qu'auparavant le genre humain était dans l'enfance, qu'aujourd'hui il est devenu majeur.»

Cette expression tire son sens de l'usage figuré du terme «lumière», lui-même appuyé sur une série de comparaisons traditionnelles en philosophie: la connaissance est comparée à la vision (on cherche alors à décrire l'acte de connaissance) ou à l'illumination (on cherche alors à caractériser l'effet de connaissance). Ces métaphores trouvent leur fondement philosophique maximal dans les théories intuitionnistes de la connaissance où la contemplation directe est considérée comme la forme achevée du savoir. Mais l'usage habituel est plus lâche, et s'en tient à la comparaison approximative du «voir» et du «connaître».

Au XVIII e siècle, le sens de cette expression est déterminé par la distinction, issue de la théologie chrétienne, entre la lumière naturelle et la lumière surnaturelle. Deux règnes (ainsi chez Leibniz) ou deux ordres étaient traditionnellement distingués: le règne de la nature et le règne de la grâce. Si au sein de la nature (créée) les hommes disposent de la raison (la lumière naturelle), celle-ci, bien que relativement autonome, reste une faculté limitée, qui requiert en dernier lieu l'assistance de la lumière surnaturelle (celle du Créateur): la révélation. La raison reste dans une telle perspective subordonnée à la révélation: seule cette dernière est susceptible de fournir un savoir véritable. Dans une telle problématique, la philosophie est la servante de la théologie (ancilla theologiæ).

Que cette assistance surnaturelle vienne à être comprise non plus comme une «lumière» mais, dans le cadre d'un combat antireligieux, comme un obscurcissement, que la lumière naturelle (la raison) s'autonomise, au point de devenir suffisante pour la connaissance, sans que soit requise l'assistance de la révélation: cette double transformation aboutit à la notion de lumières en vogue au XVIII e siècle. La religion et la théologie sont alors pensées comme les lieux principaux de l'irrationalité et de l'obscurantisme.

La raison et l'autonomie
L'expression « philosophie des Lumières » n'est pas l'invention tardive d'historiens des idées en quête de formules synthétiques: certains des philosophes du XVIII e siècle, parmi les principaux, ont inscrit explicitement leur réflexion dans cet horizon.

C'est le cas de Kant (1724-1804), dans un article de 1784, Qu'est-ce que les Lumières? : «Qu'est-ce que les Lumières. La sortie de l'homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c'est-à-dire incapacité à se servir de son entendement sans la direction d'autrui; minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui. Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des lumières.»

C'est le cas aussi de Diderot, qui note dans l'Addition aux Pensées philosophiques : «Si je renonce à ma raison, je n'ai plus de guide: il faut que j'adopte en aveugle un principe secondaire, et que je suppose ce qui est en question. Egaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n'ai qu'une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit: "Mon ami, souffle la chandelle pour mieux trouver ton chemin." Cet inconnu est un théologien.»

Un tel idéal d'autonomie devait nécessairement rencontrer la question sociale et politique: «Pour ces lumières il n'est rien requis d'autre que la liberté, et à vrai dire la liberté la plus inoffensive de tout ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de la raison dans tous les domaines. Mais j'entends présentement crier de tous côtés: "Ne raisonnez pas !" L'officier dit: "Ne raisonnez pas, exécutez !" Le financier: "Ne raisonnez pas, payez !" Le prêtre: "Ne raisonnez pas, croyez !"... Il y a partout limitation de la liberté» (Kant, Qu'est-ce que les Lumières?).

Al'horizon de cette revendication se profile la question républicaine: c'est sous ce concept de république, et non sous celui de démocratie, qu'est pensé un régime qui ne doive ses institutions et ses lois qu'à la volonté autonome de ses citoyens. La naïveté (sans doute feinte) de Kant ici, c'est seulement de penser que cette liberté est «inoffensive». En effet, la philosophie des Lumières ne peut être qu'un combat, contre les autorités et contre les préjugés. A écouter les discours de cette époque, on se risquerait même à parler de «mission»: «Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes» (Diderot).

Une notion problématique
La notion de «philosophie des Lumières», malgré l'usage généralisé qui en est fait, pose toutefois problème, et cela pour plusieurs raisons:

1. L'unité ainsi présumée des différentes philosophies du XVIIIe siècle est-elle effective? A-t-on réellement affaire à une convergence, à une unité, sinon des doctrines, du moins des problématiques philosophiques? La référence à la raison constitue ainsi, autour de 1750, un véritable «lieu commun». Mais est-ce bien au même concept de raison que se réfèrent, par exemple, d'Alembert et Diderot, les deux principaux promoteurs de l'Encyclopédie? Le premier s'inscrit explicitement dans la tradition cartésienne, valorise la rigueur et la clarté mathématiques; le second se méfie des mathématiques, et, soucieux d'accompagner les avancées de la biologie naissante, revendique le droit de la conjecture, de l'imagination scientifique, du rêve et de l'approximation.

Le postulat unitaire impliqué dans cette notion risque de faire oublier la diversité, les divergences et les conflits qui font de cette philosophie un «champ de bataille» ( Kant). Dans cet ordre d'idées, il faut se rappeler par exemple les critiques virulentes de Rousseau à l'égard de l'optimisme de ses contemporains: dira-t-on que Rousseau n'appartient pas à la philosophie des Lumières, alors que sa pensée de l'Etat est tout entière dirigée contre le complexe théologico-politique? Ou les transformations d'une philosophie comme celle de Diderot, qui cherche sa voie entre le déisme et l'athéisme, entre l'empirisme et le matérialisme: est-ce lorsqu'il en vient à concevoir la vie et la conscience comme les produits des transformations de la matière que Diderot est vraiment un philosophe des Lumières? La place d'un philosophe comme Montesquieu est elle aussi singulière: à la différence de ses contemporains, qui réfléchissent sur la vie sociale et politique dans le cadre des théories du contrat, en se posant la question de l'origine de la société (du passage de l'état de nature à l'état social), Montesquieu, lui, interroge sur les «principes» qui relient entre eux les «faits» de la politique. La problématique est radicalement autre.

2. A supposer même qu'il existe une unité et une spécificité du XVIII e siècle en philosophie, la conçoit-on adéquatement en parlant de philosophie des Lumières? Cette notion n'est-elle pas trop lâche? N'est-ce pas plutôt toute philosophie qui, dans la lignée socratique, pourrait être caractérisée comme philosophie des Lumières? L'usage semble sur ce point particulièrement flottant; ainsi certains historiens, ou certains philosophes, parlent-ils volontiers d'une Aufklärung grecque: le V e siècle av. J.-C. (Dilthey). Est-ce à dire que l'histoire s'«éclaire» chaque fois que la raison cherche à s'émanciper de la tutelle théologique? S'agit-il alors d'une tendance constante (l'effort de la raison vers l'autonomie), présente dans toute l'histoire de la philosophie qui s'épanouirait au XVIII e siècle? Mais qu'est-ce alors qui spécifie cette époque de la philosophie, si l'on reconnaît qu'il existe d'autres «siècles des Lumières», ou que cette «tendance» est constante ? Il apparaît en tout cas que la référence aux seules «lumières» ne saurait suffire.

3. On confond fréquemment, en recourant à un sens très lâche du mot «philosophie», idéologie des Lumières et philosophie des Lumières. Si par idéologie on entend un système de représentations et de valeurs, dominant dans une époque donnée, on reconnaîtra sans peine une «idéologie des Lumières» au XVIII e siècle, dont les thèmes les plus fréquents sont effectivement la confiance en la raison, la dévalorisation du dogmatisme religieux, la croyance en un avenir heureux de l'humanité sous la direction des sciences et des techniques en progrès. De telles constantes idéologiques ne suffisent pas à définir un horizon philosophique. Si l'on cherche le sens philosophique de la notion de « philosophie des Lumières », il faut se demander à quelle conjoncture philosophique, à quels problèmes spécifiques, à quels concepts déterminés cette expression renvoie.

La transformation du concept de philosophie
Ainsi parle d'Alembert dans ses Eléments de philosophie (1759): «Notre siècle s'est appelé par excellence le siècle de la Philosophie (...). Si on examine sans prévention l'état actuel de nos connaissances, on ne peut disconvenir des progrès de la philosophie parmi nous. La Science de la nature acquiert de jour en jour de nouvelles richesses; la Géométrie, en reculant ses limites, a porté le flambeau dans les parties de la Physique qui se trouvaient le plus près d'elle; le vrai système du monde a été connu (...). L'invention et l'usage d'une nouvelle méthode de philosopher, l'espèce d'enthousiasme qui accompagne les découvertes (...), toutes ces causes ont dû exciter dans les esprits une fermentation vive.»

Les exemples choisis dans ce texte sont éclairants: les progrès de la «philosophie», ce sont d'abord ceux des sciences positives, et, en évoquant une «nouvelle méthode», il est probable que d'Alembert se réfère ici à Newton, et à ses Principes de la philosophie naturelle. Chez d'Alembert, cette référence converge avec une critique de la métaphysique traditionnelle, «philosophie première», ou «sciences des principes»: «Que nous importe au fond de pénétrer l'essence des corps, pourvu que la matière étant supposée telle que nous la concevons, nous puissions déduire des propriétés que nous regardons comme primitives, les autres propriétés secondaires que nous apercevons en elle, et que le système général des phénomènes, toujours uniforme et continu, ne nous présente nulle part de contradiction? Arrêtons-nous donc, et ne cherchons pas à diminuer par des sophismes subtils le nombre déjà trop petit de nos connaissances claires et certaines. C'est un triste sort pour notre curiosité et notre amour-propre; amis, c'est le sort de l'humanité. Nous devons au moins en conclure que les systèmes, ou plutôt les rêves des philosophes sur la plupart des questions métaphysiques, ne méritent aucune place dans un ouvrage destiné à renfermer les connaissances réelles acquises par l'esprit humain» (D'Alembert, op. cit.).
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:05

La philosophie des Lumières Suite


D'Alembert est probablement le plus cartésien des philosophes du XVIII e siècle. Mais on comprend chez lui comment l'inspiration cartésienne se retourne contre Descartes lui-même: la règle qui veut que l'esprit s'en tienne à des connaissances «claires et certaines» impose de renoncer à deux projets (solidaires) qui sont constitutifs de la philosophie cartésienne: celui d'une connaissance de l'essence des choses (des premiers principes) et celui d'un système du savoir universel. Ces projets apparaissent comme autant de fantasmes qui menacent la progression du savoir effectif.

Sans aller jusqu'à dire que la philosophie des Lumières représente un moment de rupture dans l'histoire de la philosophie, on peut faire l'hypothèse d'une mutation importante: la métaphysique, qui constitue depuis Aristote le centre et le dénominateur commun des recherches philosophiques, devient problématique. Il n'est plus évident qu'elle soit même possible. A tout le moins (car d'Alembert est un de ceux qui poussent le plus loin cette critique), elle change de sens et de statut. Quels en sont les nouveaux contours?

Parmi les tâches qui retiennent l'attention des philosophes des Lumières, deux apparaissent particulièrement importantes: introduire en philosophie le concept d'expérience et celui d'histoire.

L'idée de «philosophie expérimentale»
C'est la thèse cartésienne, selon laquelle toute bonne science doit être a priori, qui est remise en question. Nombreux sont ceux qui, au XVIII e siècle, vont reprendre à leur compte le projet formulé par Bacon un siècle plus tôt, d'une «philosophie expérimentale». On désigne par là, d'une part, une nouvelle manière de pratiquer la physique, mais au-delà, une nouvelle attitude de pensée. Cassirer parle à ce sujet d'une transformation dans la méthode, et d'un passage de la déduction à l'analyse. Ainsi Voltaire (qui contribue avec Mme du Châtelet à introduire Newton en France) puis Buffon se démarqueront nettement de l'idée que la physique peut être physique a priori. Dans la préface de son Histoire naturelle (1749), Buffon se prémunit contre le risque d'une physique «romanesque» et imaginaire: «Le seul moyen de connaître est celui des expériences raisonnées et suivies.» Les principes ne sont plus à découvrir a priori, par l'«inspection de l'esprit», mais à dégager, progressivement, de la multiplication des expériences. Tel est le mouvement de l'analyse.

Si la philosophie reste conçue comme un système, nombreuses sont les critiques formulées à l'encontre de l'«esprit de système». C'est le principal reproche que Condillac adresse aux philosophies des siècles précédents: avoir procédé déductivement à partir d'un concept arbitrairement érigé en principe. Le philosophe, c'est celui qui sait se tenir à distance de tout système, y compris le sien propre.

C'est le statut même des «idées» qui se trouve alors transformé: l'empirisme se développe vivement au XVIII e siècle, en s'appuyant sur les travaux de Locke. Il faut réfléchir sur l'origine des idées, expliquer leur genèse. C'est à quoi s'attache Condillac, et c'est dans cette perspective que s'inscriront les «idéologues» de la fin du siècle. Au-delà du dualisme cartésien s'ouvre la perspective d'un matérialisme, qui se donne pour but de dériver la pensée, y compris ses principes les plus abstraits (comme les lois morales et la religion), de la matière et de la nature ( Helvétius, La Mettrie, d'Holbach). Le concept de matière est lui-même remis en chantier; on refuse l'identification cartésienne de la matière et de l'étendue pour y introduire le dynamisme et la vitalité. Les références à Leibniz et à Spinoza sont fréquentes (chez Diderot et Maupertuis par exemple): elles servent de point d'appui pour dépasser le cartésianisme.

On voit que le projet de l'Encyclopédie (ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers), dont la rédaction commence en 1745 et la publication en 1751, correspond parfaitement à cette nouvelle conception de la raison; pour être systématique sans être abstrait, il faut exposer le travail effectif de la raison, dans tous les domaines où elle s'exerce. Le choix de l'ordre alphabétique, qui est déjà celui de Bayle dans son Dictionnaire (publié en 1696-1697, il sert d'outil de travail à tous les philosophes de l'époque), indique, par son arbitraire même, qu'aucun ordre ne détermine a priori le travail positif de la raison.

La pensée de l'histoire
La seconde tâche déterminante, c'est la pensée de l'histoire. Que l'histoire ne soit plus seulement un récit, ayant pour fonction d'immortaliser des grandes et belles actions, mais qu'elle devienne, à part entière, une science, chargée comme la physique de dégager des lois, tel est l'horizon de travail d'une époque qui découvre avec l'histoire un «nouveau continent».

C'est d'abord l'émergence hésitante de l'idée d'une histoire de la nature. Le concept semble acquis vers le milieu du siècle, et l'Histoire naturelle de Buffon (qui date de 1759) s'efforce, indépendamment de tout postulat théologique, de faire l'inventaire des règnes de la nature (d'où l'importance des questions de classification) et de leurs transformations.

Qu'en est-il alors de l'histoire des hommes? Les sociétés humaines sont-elles, comme la nature, aussi soumises à des lois? Peut-on assigner une raison aux différentes transformations qui affectent les sociétés humaines? De nouveaux objets se constituent: l'histoire des «mœurs» chez Voltaire, et la tentative pour dégager «l'esprit du temps» (le Siècle de Louis XIV et surtout l'Essai sur les mœurs), et avec eux se dessine la perspective d'une rationalité historique englobante. La philosophie tend à devenir une philosophie de l'histoire. Mais la difficulté est immédiate: si l'histoire comporte des lois, est-ce à dire qu'il y règne, comme dans la nature, une nécessité? Penser en historien, n'est-ce pas justement réintroduire la contingence et l'indétermination y compris dans la compréhension de la nature? Une nature parfaitement réglée par des lois aurait-elle une histoire?

C'est dans cette lignée que s'inscrivent les pensées du progrès, qui voient dans l'avènement des Lumières la possibilité d'une humanité plus heureuse et plus vertueuse: ainsi Condorcet, dans son Esquisse des progrès de l'esprit humain. Mais l'optimisme est d'emblée un problème pour la philosophie; Rousseau s'efforcera de penser ensemble le progrès des Lumières et celui de la servitude et du malheur ( Discours sur les Sciences et les Arts). Que l'homme soit par nature perfectible n'implique pas que son histoire ait globalement la forme d'un progrès vers le mieux: il faut aussi penser le progrès, paradoxalement comme mouvement vers le pire.

Les limites de la philosophie des Lumières
Cette question a été posée, d'emblée. Elle l'est déjà, de l'intérieur de la philosophie des Lumières, par les tenants de la pensée critique. Par des voies différentes, Berkeley, Rousseau, Hume et Kant s'interrogent en effet sur les limites de la raison. Le rationalisme des Lumières est un rationalisme critique à l'égard des pouvoirs de la raison. Mais c'est surtout Hegel qui mènera contre les Lumières une critique violente (la Phénoménologie de l'esprit, VI e partie). Les principaux reproches visent le sectarisme et l'abstraction; le sectarisme, parce que les philosophes des Lumières auraient opéré un partage tranché entre le rationnel et l'irrationnel (l'obscurantisme religieux), incapable de concevoir la rationalité à l'œuvre dans la culture religieuse. L'abstraction, car, emportés par la revendication d'autonomie, ils auraient négligé de penser les conditions positives d'effectuation de la liberté. Les tentatives pour ériger une «religion naturelle», «dans les limites de la simple raison», témoigneraient de ce formalisme, qui n'aurait eu d'autre effet que de provoquer le mysticisme et le retour romantique du sentiment. Au fond, la volonté de «penser par soi-même» n'est pas, en elle-même, une garantie suffisante de rationalité. «S'attacher à l'autorité des autres ou à sa conviction propre diffère seulement par la vanité inhérente à la seconde manière.» Rien n'est donc joué lorsqu'on a proclamé l'autonomie de la raison: encore faut-il que le contenu de pensée devienne effectivement rationnel.

Au rationalisme des Lumières on peut reprocher une certaine naïveté: ne pas avoir suffisamment interrogé ses propres limites et réfléchi sur ses propres présupposés. Il est clair par exemple que ce rationalisme participe pour une part de la croyance (en la valeur de la raison) et que la croyance en un progrès historique s'est parfois substituée à l'ancienne eschatologie. Les « libres penseurs » ne seraient-ils, comme le dit parfois Nietzsche, que des théologiens qui s'ignorent?

Il s'est en tout cas depuis deux siècles constitué une « mythologie des Lumières ». La reconduire sans l'examiner reviendrait à trahir les exigences premières des philosophes de ce temps. Une des formes les plus avancées de cet examen se trouve dans les analyses qu'Adorno et Horkheimer, philosophes de l'école de Francfort, ont consacrées à l'histoire de la rationalité: «De tout temps, l'Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Le programme de l'Aufklärung avait pour but de libérer le monde de la magie. Elle se proposait de détruire les mythes, d'apporter à l'imagination l'appui du savoir. Mais la terre, entièrement "éclairée", resplendit sous le signe des calamités triomphant partout.» Et pourtant, lorsqu'il s'agit de fonder la critique de l'aliénation et de la réification, c'est toujours au principe de l'autonomie qu'Adorno et Horkheimer se réfèrent. La philosophie des Lumières serait-elle indépassable?

«Nous sommes aujourd'hui conscients de ce que le rationalisme du XVIIIe siècle, sa façon de vouloir assurer la solidité et la tenue requise pour l'humanité européenne, était une naïveté. Mais faut-il abandonner en même temps que ce rationalisme naïf et même, si on le pense jusqu'au bout, contradictoire, également le sens authentique de ce rationalisme?»
( Husserl, la Crise des sciences européennes).
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:05

Qu'est-ce que les Lumières?


La métaphore de la lumière
Pierre Bayle, l'auteur du Dictionnaire historique et critique (1696-1697), la première machine de guerre contre l'ignorance et le fanatisme, avait prédit que le siècle à venir serait « de jour en jour plus éclairé ». La métaphore de la lumière désigne le mouvement intellectuel critique, la floraison d'idées nouvelles, qui caractérise le XVIII e siècle européen: illuminismo en italien, ilustración en espagnol, Aufklärung en allemand désignent le passage de l'obscurité au jour, de l'obscurantisme à la connaissance rationnelle. Les Lumières en effet sont un processus, une méthode, une attitude intellectuelle, plutôt qu'une doctrine achevée.

Kant, en 1784, écrit: «Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d'un manque d'entendement, mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise des Lumières.»

Pour les intellectuels du XVIII e siècle européen, l'homme se caractérise par ses facultés cognitives, dont il doit faire un usage critique à l'encontre des préjugés et des superstitions. En cela, ils sont les héritiers de Galilée, de Descartes puis de Newton (dont les recherches théologiques et alchimiques sont alors inconnues), qui les premiers ont donné la priorité à la raison et à l'expérience sur la Révélation divine et l'autorité religieuse. A la suite de John Locke et de Pierre Bayle, ils définissent une méthode critique pour réfuter les prétendues vérités révélées, comme la vie des saints ou les explications par le surnaturel. Ils en viennent du même coup à critiquer la monarchie de droit divin.

Jalons chronologiques d'un mouvement intellectuel
Montesquieu, président au parlement de Bordeaux et auteur des Lettres persanes (1721), satire audacieuse des croyances et des mœurs des Français à la fin du règne de Louis XIV, a formulé, après un voyage en Europe - et plus particulièrement en Angleterre -, une nouvelle philosophie de l'histoire: «Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l'élèvent, la maintiennent, ou la précipitent; tous les accidents sont soumis à ces causes» (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734). Autrement dit, on peut expliquer le monde.

L'année 1748 marque un tournant, avec la parution et le grand succès de l'Esprit des lois, dans lequel Montesquieu analyse tous les régimes politiques et établit les rapports nécessaires qui unissent les lois d'un pays à ses mœurs, à son climat et à son économie. Par là apparaît bien la relativité du régime monarchique. L'année suivante, Diderot publie sa Lettre sur les aveugles, et Buffon le premier volume de son Histoire naturelle; en 1751 paraissent le premier volume de l'Encyclopédie de Diderot et de D'Alembert et le Siècle de Louis XIV de Voltaire.

Entre 1750 et 1775, les idées essentielles des Lumières se cristallisent et se diffusent. La figure centrale est celle de Voltaire (1694-1778); admirateur des institutions et des libertés anglaises, dans ses Lettres philosophiques , ou Lettres anglaises (1734), il attaque durement, par contrecoup, le régime de Louis XV. En 1760, après une vie agitée, et notamment trois années passées auprès du roi de Prusse Frédéric II, Voltaire s'établit à Ferney, près de la frontière suisse (donc à l'abri des poursuites), d'où il exerce une véritable souveraineté intellectuelle, par ses livres et surtout par son abondante correspondance. Quoique modéré sur le plan social et politique, il s'enflamme pour dénoncer les dénis de justice, le fanatisme et l'intolérance.

A cette époque, les Lumières françaises ont conquis l'Europe cultivée: «Il s'est fait une révolution dans les esprits (...). La lumière s'étend certainement de tous côtés», écrit Voltaire en 1765. Désormais, l'athéisme n'hésite plus à se dévoiler, trouvant en Helvétius (De l'esprit, 1758) et en d'Holbach (Système de la nature, 1770) ses principaux défenseurs. Un nouveau venu, Jean-Jacques Rousseau, fils d'un modeste horloger genevois, incarne le versant démocrate des Lumières. Persuadé que tous les hommes naissent bons et égaux, il exalte l'état de nature et la libre expression des sentiments, réclame la protection des droits naturels de l'homme.

Si après 1775 les grands écrivains disparaissent (Voltaire et Rousseau en 1778, Diderot en 1784), c'est le moment de la diffusion maximale, tant géographique que sociale, des Lumières; l'opinion se politise, prend au mot leurs idées: la philosophie est sur la place publique. L'œuvre de l'abbé Raynal (Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, 1770), qui condamne le despotisme, le fanatisme et le système colonial, connaît un grand succès. Le mathématicien Condorcet publie des brochures contre l'esclavage et pour les droits des femmes, et prépare sa synthèse de l'histoire de l'humanité (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, 1793).

Le rayonnement européen
Les Lumières ne connaissent pas de frontières. Leur cosmopolitisme découle de l'universalité de la condition humaine. Le mouvement touche donc toutes les élites cultivées d'Europe, mais sa langue est le français, qui remplace le latin comme langue internationale des intellectuels. A la cour de Vienne ou de Saint-Pétersbourg, les Français sont à l'honneur, et leurs livres à la mode. Cette hégémonie tient au poids particulier de la France en Europe depuis Louis XIV, mais aussi au modèle de modernisme qu'elle incarne, à travers ses écrivains et ses savants, aux yeux des étrangers. Et, de fait, c'est en France que le mouvement des Lumières conquiert la plus large audience intellectuelle dans l'opinion.

Dans les autres Etats d'Europe continentale, il n'a entraîné qu'une partie des élites. Le cas de l'Angleterre est singulier: elle a précédé et influencé les Lumières françaises naissantes, mais ses intellectuels n'ont pas prétendu se substituer au gouvernement ou à l'Eglise; sa classe dirigeante est restée imprégnée de puritanisme et s'est plus préoccupée de commerce que de philosophie: elle s'est satisfaite des acquis de sa révolution de 1689.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:06

Les droits de la raison


Le fonds commun des Lumières réside dans un rejet de la métaphysique, selon laquelle la transcendance (Dieu) précède la réalité (le monde). Les termes en sont inversés: la transcendance est ce qui reste, ce qui résiste à toute analyse rationnelle, scientifique, historique. Par-delà leur diversité, les hommes des Lumières ont en commun cette attitude d'esprit inspirée de la méthode scientifique, de l'expérimentalisme de Newton et de Locke: chercher dans l'investigation empirique des choses les rapports, les corrélations, les lois qui les régissent, et qui ont été jusqu'à présent masqués par les «préjugés».

La nature est rationnelle
Du coup, la vérité est recherchée du côté du monde physique, de l'univers pratique. Avec les Lumières, le regard intellectuel curieux se détourne du ciel au profit du monde concret des hommes et des choses. A l'étal du libraire, dans la liste des nouvelles publications, la proportion s'inverse entre les rubriques «arts, sciences et techniques» et «religion», au détriment de cette dernière. Les dogmes et les vérités révélées sont rejetés. Les Lumières refusent la prétention de la religion à tout expliquer, à fournir les raisons ultimes; elles veulent distinguer entre les différentes sphères de la réalité: le naturel, le politique, le domestique, le religieux, chacun ayant son domaine de pertinence et ses lois, chacun exigeant des savoirs et des méthodes de connaissance différents. En ce sens, les Lumières sont laïques.

Pourtant, la plupart des intellectuels éclairés restent déistes: pour eux, l'Univers est une mécanique admirablement réglée, dont l'ordre implique une intelligence ordonnatrice. «Je ne puis imaginer, dit Voltaire , que cette horloge marche et n'ait pas d'horloger.» Cette religion dite «naturelle» postule l'existence d'un «Être suprême»: nous savons qu'il est, mais nous ne pouvons savoir ce qu'il est; il échappe à la connaissance rationnelle. En revanche, la raison peut rendre compte des rouages de sa construction, «l'horloge». La nature est donc connaissable. On est loin de la croyance chrétienne en un Dieu personnel, Christ mort et ressuscité pour le salut du monde, toujours impliqué avec l'humanité en marche dans la réalisation de sa propre histoire.

D'autres, peu nombreux ( Helvétius, d'Holbach, Diderot), vont plus loin: ils réfutent tout déisme, au profit d'un matérialisme athée selon lequel n'existe que la matière en mouvement.

Les sources de la connaissance: expérience et sensation
Si la vérité de la nature s'éclaire par les démonstrations impartiales de la raison, elle procède aussi de la sensibilité humaine. A la suite de Locke, Condillac (1715-1780) affirme que toute connaissance provient des sens (Traité des sensations, 1754).

L'expérience occupe ainsi une place centrale dans la théorie de la connaissance du XVIII e siècle. Cette méthode procède par l'observation, l'analyse, la comparaison. D'où l'importance du voyage comme moyen de connaissance; d'où aussi le souci presque obsessionnel de la classification des faits, de la construction de tableaux: connaître, c'est décrire, inventorier, ordonner. Ainsi procède Buffon dans les trente-six volumes de son Histoire naturelle.

La raison expérimentale, dès lors, ne connaît pas de frontières: les Lumières opèrent une formidable expansion de la sphère de la connaissance scientifique. La raison est universelle; à côté des sciences naturelles et des sciences de la vie se développent les sciences humaines: ethnologie, psychologie, linguistique, démographie. Dans l'Esprit des lois, Montesquieu invente une sociologie politique, en recherchant les rapports qui unissent les «mœurs» de chaque peuple et la forme de son gouvernement.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:07

Le bonheur et le progrès


La philosophie des Lumières procède d'un humanisme laïque: elle place l'homme au centre du monde, et entend œuvrer à son bonheur.

Pour Voltaire, «le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, occupe le pauvre et l'enrichit, encourage les mariages, établit l'orphelin. Il n'attend rien des hommes, mais leur fait tout le bien dont il est capable» . Un tel humanisme se situe à rebours de l'espérance chrétienne: «La vertu consiste à faire du bien à ses semblables et non pas dans de vaines pratiques de mortifications» , écrit encore Voltaire. Foin des prières et des cierges dans les églises, il faut des actes. Tout l'effort de connaissance est orienté vers l'utilité commune. Cette conception utilitariste fait du bonheur le bien suprême. Elle tourne le dos à l'idée chrétienne de purification par l'épreuve et la souffrance, ainsi qu'aux notions nobiliaires et militaires d'héroïsme et de gloire.

Il y a là un optimisme fondamental, aux effets mobilisateurs: les hommes des Lumières croient au progrès possible des connaissances, à la capacité de la raison de saper les conventions, les usages et les institutions qui contredisent la nature et la justice. Pour eux, l'avancée de la science garantit la marche vers le bonheur. Cette foi dans le progrès indéfini de l'humanité se trouve d'ailleurs confortée par les découvertes scientifiques et la croissance économique du siècle.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:08

Un manifeste des Lumières : l'Encyclopédie


Les Lumières (1721/1781) Metallurgie
L'Encyclopédie : La méttallurgie



Un ouvrage incarne à lui seul cette vaste entreprise humaniste et savante des Lumières: c'est l' Encyclopédie. Dix-sept volumes de texte, onze volumes de planches gravées, des dizaines de collaborateurs, 71 818 articles de A à Z, vingt-cinq années de travail: il s'agit là de la plus fantastique réalisation éditoriale de son temps.

Tout commence en 1745, quand le libraire-éditeur Le Breton entreprend de publier une version française du dictionnaire de l'Anglais Chambers, paru en 1728. Deux ans plus tard, le philosophe Diderot et le mathématicien d'Alembert (1717-1783) deviennent codirecteurs du projet et lui donnent une plus vaste ampleur.

Le rôle de Diderot
Denis Diderot (1713-1784) a alors trente-quatre ans. Philosophe, auteur dramatique, critique d'art, doué d'une intelligence aiguë, ce fils d'un modeste coutelier de Langres va se révéler le penseur le plus hardi de son temps et le principal animateur du mouvement philosophique de la seconde moitié du siècle. En 1749, sa Lettre sur les aveugles lui vaut un emprisonnement au donjon de Vincennes, pour délit d'athéisme. Libéré, il fait de l'Encyclopédie, de simple dictionnaire qu'elle était, une œuvre gigantesque: ce sera une somme, un bilan des connaissances humaines dans tous les domaines.

Parmi les collaborateurs, on retrouve les figures célèbres du siècle: Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Buffon, Helvétius, d'Holbach, Quesnay, de Jaucourt, Grimm, Turgot.

Un projet ambitieux
Même si certains articles se contredisent, même si tous les auteurs ne sont pas également téméraires, le caractère novateur et progressiste de l'ensemble tient à sa forme: celle d'un dictionnaire encyclopédique, à vocation totalisante et universelle, qui offre «un tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles». Ce qui est révolutionnaire, ce n'est pas le contenu en soi de tel ou tel article, mais le caractère de la démarche logique postulant l'unité des connaissances, produits d'une activité pratique de la raison.

L'Encyclopédie veut vulgariser l'ensemble du savoir humain. Aussi s'attache-t-elle à décrire minutieusement tous les arts et les métiers, tous les savoir-faire concrets. La liberté d'opérer autant de rapprochements qu'il le désire est donnée au lecteur par le choix d'un classement alphabétique, qui met tous les savoirs - scientifiques, intellectuels et pratiques - sur un plan d'égale légitimité.

Une mission
Diderot s'explique précisément, dans l'article «Encyclopédie», sur ce qu'il conçoit comme une véritable mission: «Le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront après nous; afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.»

Une arme
Le livre devient alors un formidable instrument de combat contre les forces de la tradition et de l'immobilisme. «Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et ménagement», écrit d'Alembert. Certes, l'éditeur Le Breton tente de ménager la censure, car les enjeux financiers sont énormes pour lui. On ne trouve donc rien de bien subversif dans les articles «Eglise» ou « Christianisme». Mais si le lecteur veut se prêter au jeu de cache-cache, il peut voir le pape ridiculisé dans l'article «Siako». Dans «Ypaini», l'eucharistie et la messe sont montrées comme des rites païens. L'absolutisme monarchique est dénoncé dans l'article «Représentant». «Impôt» prône l'égalité fiscale et l'abolition des privilèges.

Soutiens et détracteurs
Les institutions visées ne s'y sont pas trompées. Tour à tour, tous les adversaires des Lumières ont tenté de briser l'entreprise. L'édition est interdite à deux reprises, en 1752 parce qu'elle enseigne «la révolte envers Dieu et l'autorité royale», puis en 1759, après la parution du livre d'Helvétius, De l'esprit. Le parlement de Paris, conservateur, condamne l'Encyclopédie; le roi en révoque l'autorisation de publication qu'il avait accordée. L'Eglise la met à l'Index; le pape ordonne à tous les catholiques qui la possèdent de la brûler, sous peine d'excommunication. Pourtant, à force de ténacité et d'habiles compromis, la publication reprend.

En fait, deux personnages influents protègent les encyclopédistes: Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV, et Malesherbes, le directeur de la Librairie, c'est-à-dire le responsable de la censure, gagné aux idées des Lumières.

En 1772, la première édition arrive à son terme: 4'300 exemplaires ont été vendus. Si l'on ajoute les multiples rééditions, la diffusion atteint 25'000 exemplaires avant 1789: plus qu'un succès, c'est la formidable réussite d'un best-seller, qui aura cependant enrichi ses éditeurs bien plus que ses auteurs. Il n'empêche: en rassemblant toutes les idées nouvelles, toutes les critiques contre le régime établi, l'Encyclopédie a été le plus puissant véhicule de la propagande philosophique.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:09

Les combats des Lumières pour la liberté


C'est sur le terrain des libertés, de la lutte contre l'arbitraire (insupportable dans les faits, révoltant dans les principes) et l'intolérance que les Lumières ont mené leurs principaux combats.

Contre l'arbitraire
La critique des Lumières s'attaque aux manifestations jugées les plus insupportables de l'absolutisme monarchique, et en premier lieu à l'arbitraire et à la toute-puissance de l'appareil policier. Il n'existe d'habeas corpus qu'en Angleterre: depuis 1679, personne ne peut y être arrêté et inculpé sans avoir été déféré dans les vingt-quatre heures devant un juge qui doit notifier le motif précis de l'arrestation et laisser l'inculpé choisir un avocat. Police et administration n'y ont aucun pouvoir juridictionnel: la justice est indépendante, ce qui garantit la liberté. Rien de tel dans les monarchies absolues.

En France, la pratique des «lettres de cachet», en particulier celles laissées «en blanc», qui permettent à tout agent royal qui en dispose de priver n'importe qui de liberté, symbolise l'arbitraire du pouvoir.

Contre la torture
Les scandales qui éclatent sensibilisent l'opinion aux problèmes de la justice et de son organisation, lente, coûteuse, influençable jusqu'à commettre les pires erreurs sous la pression des préjugés.

De même, on s'indigne du caractère atroce de la procédure pénale. Avec le juriste italien Beccaria (Des délits et des peines, 1764) s'impose l'idée d'une justice qui n'utiliserait plus la «question», c'est-à-dire la torture, pour extorquer des aveux aux accusés; une justice devenue impartiale, qui proportionnerait les châtiments aux fautes démontrées, sans cruauté; une justice qui ne donnerait plus l'horrible spectacle de l'écartèlement ou de la lente agonie, sur la roue, de suppliciés à qui le bourreau a brisé les membres à coups de barre de fer.

Contre l'intolérance
Dans l'Europe du XVIII e siècle, la question religieuse reste l'enjeu le plus brûlant. Les différentes confessions affirment toutes en effet la même prétention à l'universalité et à l'exclusivité (à l'exception du judaïsme, qui ne prétend pas convertir les non-juifs). De plus, partout prévaut le modèle de la religion d'Etat (catholique ou protestante) imposée à tous les habitants et tolérant difficilement (très difficilement en France, en Espagne, dans les Etats italiens, ou plus facilement en Prusse ou dans les Provinces-Unies) la présence d'étrangers de confessions différentes. Certes, en Angleterre, la loi de tolérance de 1694 reconnaît la liberté de culte pour les dissidents de l'Eglise anglicane, mais nullement pour les catholiques; de plus, les fonctions d'Etat y restent réservées aux seuls anglicans. Partout, enfin, les juifs se voient confinés aux marges de la société.

Face à l'intolérance et aux persécutions religieuses, les Lumières vont mener un combat passionné: prison, exil, excommunication guettent l'auteur imprudent ou sans protection. Le plus incendiaire de tous est Voltaire. Dès l'âge de vingt-trois ans, il a tâté de la Bastille. Mais ni la prison ni les autodafés n'ont eu raison de sa verve insolente. Il déteste l'obéissance, de façon viscérale. Il ne cesse de fustiger, de sa plume acérée, l'injustice, l'arbitraire et l'obscurantisme. Au bas de ses pamphlets rageurs, il signe Ecrelinf: « écrasons l'infâme », c'est-à-dire le prêtre fanatique, l'Inquisition et tous les dogmes religieux qui prêchent la crainte et la soumission.

Contre les juges de Calas et du chevalier de La Barre
S'il le faut, Voltaire n'hésite pas à s'engager. Entre 1761 et 1765, l'affaire Calas secoue la France. Jean Calas a retrouvé un soir son fils pendu, chez lui, à Toulouse. Or il est protestant: dès qu'on apprend que son fils était sur le point de se convertir au catholicisme, Calas est accusé de l'avoir assassiné. Malgré l'absence de preuve, il est condamné à mort: il meurt par le supplice de la roue. Contacté par les amis de Calas, Voltaire n'a de cesse d'obtenir réparation. Inlassablement, il écrit à tous les grands de France et d'Europe. Il obtient finalement la réhabilitation de Calas et le désaveu des juges aveuglés par le fanatisme. Et il repart aussitôt en campagne. Cette fois, la victime étant noble et catholique, son supplice est abrégé: le jeune chevalier de La Barre, condamné par le parlement de Paris, a le poignet tranché, la langue arrachée, la tête coupée; son corps est brûlé avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire. Son crime? Officiellement, la profanation d'un crucifix; en réalité, c'est son anticléricalisme qui est pourchassé. Voltaire plaide à nouveau, mais cette fois en vain.

Le combat cependant a porté ses fruits. A la fin du siècle, la liberté religieuse des individus a fait de grands progrès (édit de tolérance en 1781 en Autriche, reconnaissance de l'état civil des protestants en 1787 en France, plus grande liberté en Angleterre et en Prusse). Il faut toutefois se garder de tout anachronisme: ces luttes ont été menées moins au nom des droits de l'Homme (dont la théorisation est postérieure) qu'à celui de la religion naturelle. Pour les hommes des Lumières, toutes les religions relèvent de la même croyance en un Dieu législateur moral, d'une religiosité naturelle commune à tous. C'est l'exclusivisme religieux qui élève des barrières, ce sont les dogmes, les rites, les intérêts cléricaux, tout ce qui fige les différences entre les religions, qu'il faut éliminer.

Contre les discriminations
L'appel à la tolérance n'est pas une apologie de la différence. Il ne s'agit pas de faire reconnaître juridiquement des particularismes, mais bien plutôt de faire disparaître les différences légales: les philosophes des Lumières sont universalistes. Leur lutte contre les discriminations repose sur la conviction d'une égalité naturelle du genre humain. Pour eux, les préjugés historiques ont perverti l'être original de l'homme. D'où leur fascination pour les cas d'ensauvagement d'enfants, réintégrés par l'éducation dans la société. D'où le souci d'abolir les situations d'exclusion des marginaux, des malades, des pauvres ou des fous, dans lesquels le christianisme voyait au contraire le signe du péché originel et l'occasion pour les fidèles de manifester la vertu de charité.

Contre l'esclavage
E galité de l'homme primitif, universalisme de l'humanité, ces deux principes conduisent à dénoncer l'esclavage des Noirs. Dans Candide, de Voltaire, le héros rencontre un nègre mutilé: cet esclave des champs de canne à sucre a perdu une main et une jambe. «On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année, explique-t-il. Quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe.» Et il ajoute: «C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.» L'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal, à laquelle Diderot a collaboré, est le plus éclatant manifeste abolitionniste: «Brisons les chaînes de tant de victimes de notre cupidité, dussions-nous renoncer à un commerce qui n'a que l'injustice pour base et le luxe pour objet.»

Cette même conviction de l'égalité naturelle du genre humain conduit à condamner la société d'ordres de l'Ancien Régime. Ecoutons Figaro, le serviteur qui s'adresse à son maître: «Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!... Noblesse, fortune, un rang, des places; tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus» (Beaumarchais, le Mariage de Figaro, 1784). Les mœurs, la société sont condamnées parce qu'elles fonctionnent à rebours de la nature.

Pour la liberté d'entreprise et de commerce
Toute la pensée des Lumières repose, au fond, sur une conception de l'homme qui place au premier plan l'utilité: par nature, l'homme recherche son intérêt, moteur de sa perfectibilité et de sa sociabilité; mais des groupes d'intérêts particuliers, les tyrans, les prêtres, les armateurs qui vivent de la traite négrière, les charlatans qui profitent de la crédulité, ont détourné la masse des hommes de leur intérêt bien compris, celui où l'intérêt individuel n'est pas contradictoire avec l'intérêt collectif.

De cette conviction d'une plus grande efficacité sociale de la liberté découle le libéralisme économique. Dès 1758, autour de François Quesnay (1694-1774), les physiocrates réclament la liberté du commerce des grains, convaincus qu'elle seule incitera les agriculteurs à améliorer leur production. Avec Vincent de Gournay (1712-1759) et Turgot (1727-1781), les libéraux proclament la vertu de leur thèse dans la maxime: «Laissez faire (produire), laissez passer (circuler).»

En 1776, l'Ecossais Adam Smith (1723-1790) expose les règles du libéralisme capitaliste dans un ouvrage destiné à un exceptionnel retentissement, la Richesse des nations. Pour lui, la spirale vertueuse de l'enrichissement obéit à un mécanisme simple: la poursuite par chacun de son intérêt égoïste. La libre concurrence conduit spontanément à l'harmonie; la composition des intérêts privés débouche sur le bien général: «Les intérêts privés et les passions des individus les portent à diriger leurs capitaux vers les emplois qui sont le plus avantageux à la société.» Il ne faut donc pas chercher à faire le bien, mais le laisser naître spontanément de nos passions. Ainsi agit la «main invisible» du libre marché. La liberté du commerce est donc, selon Smith, le plus efficace agent du développement économique.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:10

La cité idéale des philosophes


Au-delà de ces convictions libérales plus ou moins partagées, plus ou moins cohérentes selon les auteurs, les hommes des Lumières apparaissent divisés quant à la conception du meilleur régime politique.

Le modèle anglais
Voltaire dans les Lettres anglaises, Montesquieu dans l'Esprit des lois ne sont à proprement parler ni républicains ni démocrates. Voltaire a vu l'Angleterre, rapidement; il a surtout lu John Locke, le théoricien de la révolution de 1688, qui fait l'éloge de la monarchie constitutionnelle, où le roi partage le pouvoir avec la nation. Montesquieu est plus systématique, il propose une histoire et une sociologie des régimes politiques: le gouvernement républicain, «où le peuple en corps (démocratie) ou seulement une partie du peuple a la souveraine puissance», repose sur la vertu; le gouvernement despotique, «où un seul, sans lois et sans règles, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices», se fonde sur la crainte; le gouvernement monarchique, «où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies», repose sur l'honneur. C'est à cette monarchie modérée, de type anglais, où la liberté est assurée par la séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, que vont les préférences de Montesquieu.

L'Angleterre est donc le modèle: le royaume le mieux gouverné de l'Europe, parce que le citoyen y est protégé par la loi contre tout arbitraire, parce que le roi respecte la loi qu'il n'a pas élaborée lui-même, prérogative qui appartient aux représentants élus de la nation. Pour autant, le rôle prééminent de la noblesse dans la nation et au Parlement n'est pas remis en cause. Montesquieu propose qu'en France les «pouvoirs intermédiaires» (clergé, noblesse, parlements judiciaires) exercent une forme de contrôle, comme représentants naturels de la nation, sur la monarchie: son libéralisme politique est donc limité aux élites.

Voltaire, quant à lui, finit par s'éloigner du modèle anglais, car il ne veut pas donner trop de pouvoir à des élites aristocratiques et religieuses résolument hostiles aux Lumières et au progrès. Il préfère donc pour la France un monarque et un gouvernement forts, mais éclairés, qui respectent les libertés civiles, excluent tout arbitraire, et suivent les conseils des philosophes pour moderniser le pays, d'en haut.

Les contradictions du despotisme éclairé
Faute de trouver suffisamment de crédit au sein des élites, par méfiance envers une noblesse et des parlementaires jugés obscurantistes, et considérant le peuple trop peu éclairé, les Lumières françaises reportent leurs espoirs sur des souverains qu'ils espèrent convertir à leurs idées: c'est le «despotisme éclairé». Il s'agit de subordonner les intérêts privilégiés et les coutumes au système rationnel d'un Etat censé représenter le bien public, de favoriser le progrès économique et la diffusion de l'enseignement, de combattre tous les préjugés pour faire triompher la raison. Ce despotisme éclairé inspira Frédéric II en Prusse, Catherine II en Russie, Joseph II en Autriche.

Mais les philosophes qui croyaient jouer un rôle positif en conseillant les princes, comme Voltaire auprès de Frédéric II et Diderot auprès de Catherine II, perdirent vite leurs illusions. Ce qu'ils avaient pris pour l'avènement de la raison et de l'Etat rationnel était en réalité celui de la raison d'Etat, cynique et autoritaire. L'impasse découle d'une insurmontable contradiction: vouloir imposer le progrès d'en haut, c'est s'exposer à l'autoritarisme. Il faut convaincre la société entière et pas seulement le prince. Le despotisme éclairé est antinomique de la liberté politique.

Le "contrat social" de Rousseau
Jean-Jacques Rousseau défend des conceptions politiques bien différentes, radicalement démocratiques. Du Contrat social (1762) constitue un tournant dans la pensée politique. Pour Rousseau, toute société humaine repose sur un contrat entre les participants, contrat tacite ou bien accepté à un moment donné. Toute souveraineté réside donc dans le peuple qui accepte ce contrat. Celui-ci suppose l'égalité civile et politique de tous les citoyens qui forment la nation, l'ensemble des contractants.

La cité idéale de Rousseau, composée de petits propriétaires égaux et libres, garantit ainsi les droits naturels de l'individu; elle bannit l'injustice et l'oppression; elle fonde l'idée démocratique qui inspirera la Révolution française.
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La diffusion des Lumières


Le mouvement des Lumières se distingue des mouvements intellectuels qui l'ont précédé par son destinataire: l'opinion publique. Voltaire, Diderot et leurs amis sont des agitateurs d'idées; ils veulent discuter, convaincre. Les progrès de l'alphabétisation et de la lecture dans l'Europe du XVIII e siècle permettent le développement de ce qu'on a appelé un «espace public»: les débats intellectuels et politiques dépassent le cercle restreint de l'administration et des élites, impliquant progressivement des secteurs plus larges de la société. La philosophie est à double titre «l'usage public de la raison» , comme le dit Kant: à la fois le débat public, ouvert, contradictoire, qui s'enrichit de la libre discussion, et l'agitation, la propagande pour convaincre et répandre les idées nouvelles.

Les salons et les cafés
Le siècle des Lumières invente, ou renouvelle profondément, des lieux propices au travail de l'opinion publique. Ce sont d'abord les cafés, où on lit et on débat, comme le Procope, à Paris, où se réunissent Voltaire, Diderot, Marmontel, Fontenelle, et qui sont le rendez-vous nocturne des jeunes poètes ou des critiques qui discutent passionnément des derniers succès de théâtre ou de librairie.

Ce sont surtout les salons mondains, ouverts par tous ceux qui ont quelque ambition, ne serait-ce que celle de paraître. Mais il faut y être introduit. Les grandes dames reçoivent artistes, savants et philosophes. Chaque hôtesse a son jour, sa spécialité et ses invités de marque. Le modèle est l'hôtel de la marquise de Lambert, au début du siècle.

Plus tard, Mme de Tencin, rue Saint-Honoré, accueille Marivaux et de nombreux autres écrivains. Mme Geoffrin, Mme du Deffand, Julie de Lespinasse, puis Mme Necker reçoivent les encyclopédistes. Les gens de talent s'y retrouvent régulièrement pour confronter leurs idées ou tester sur un public privilégié leurs derniers vers. Mondaines et cultivées, les créatrices de ces salons animent les soirées, encouragent les timides et coupent court aux disputes. Ce sont de fortes personnalités, très libres par rapport à leurs consœurs, et souvent elles-mêmes écrivains et épistolières.

Les académies, les bibliothèques et les loges
Les académies sont des sociétés savantes qui se réunissent pour s'occuper de belles-lettres et de sciences, pour contribuer à la diffusion du savoir. En France, après les fondations monarchiques du XVII e siècle ( Académie française, 1634; Académie des inscriptions et belles-lettres, 1663; Académie royale des sciences, 1666; Académie royale d'architecture, 1671), naissent encore à Paris l'Académie royale de chirurgie (1731) et la Société royale de médecine (1776). Le clergé et, dans une moindre mesure, la noblesse y prédominent. En province, il y a neuf académies en 1710, 35 en 1789.

Ces sociétés provinciales regroupent les représentants de l'élite intellectuelle des villes françaises. Leur composition sociale révèle que les privilégiés y occupent une place moindre qu'à Paris: 37 % de nobles, 20 % de gens d'Eglise. Les roturiers constituent 43 % des effectifs: c'est l'élite des possédants tranquilles qui siège là. Marchands et manufacturiers sont peu présents (4 %).

Voisines des académies, souvent peuplées des mêmes hommes avides de savoir, les bibliothèques publiques et chambres de lecture se sont multipliées, fondées par de riches particuliers ou à partir de souscriptions publiques. Elles collectionnent les travaux scientifiques, les gros dictionnaires, offrent une salle de lecture et, à côté, une salle de conversation.

Toutes ces sociétés de pensée fonctionnent comme des salons ouverts et forment entre elles des réseaux provinciaux, nationaux, européens, échangeant livres et correspondance, accueillant les étrangers éclairés, lançant des programmes de réflexion, des concours de recherche. On y parle physique, chimie, minéralogie, agronomie, démographie.

Parmi les réseaux éclairés, le plus développé est celui de la franc-maçonnerie, quoique réservé aux couches supérieures. Née en Angleterre et en Ecosse, la franc-maçonnerie, groupement à vocation philanthropique et initiatique, concentre tous les caractères des Lumières: elle est théiste, tolérante, libérale, humaniste, sentimentale. Elle connaît un succès foudroyant dans toute l'Europe, où l'on compte des milliers de loges en 1789. Les milieux civils, militaires et même religieux, liés aux appareils d'Etat, y sont tout particulièrement gagnés. Ni anticléricales (elles le seront au XIX e siècle) ni révolutionnaires, les loges ont contribué à répandre les idées philosophiques et l'esprit de réforme dans les lieux politiquement stratégiques. La discussion intellectuelle l'emporte sur le caractère ésotérique ou sectaire. Surtout, les élites y font, plus encore que dans les académies, l'apprentissage du primat de l'égalité des talents sur les privilèges de la naissance.

La presse enfin contribue à la constitution d'un espace public savant, malgré la censure, toujours active. Le Journal des savants, le Mercure de France, les périodiques économiques sont en fait plutôt ce que nous appellerions des revues. Par les recensions d'ouvrages et par les abonnements collectifs des sociétés de pensée, un public éloigné des centres de création peut prendre connaissance des idées et des débats, des découvertes du mois, sinon du jour.

L'écho des Lumières
Mouvement intellectuel caractéristique du siècle, les Lumières ont évidemment influencé l'art de leur temps. Pour autant, elles n'ont pas dicté une esthétique spécifique. Elles ont en revanche créé un urbanisme particulier. La ville des Lumières est le fruit des efforts conjoints des pouvoirs publics et des architectes soucieux du bien public: elle doit être claire, aérée, hygiénique et fonctionnelle. L'architecte Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) est celui qui va le plus loin dans l'utopie d'un habitat totalement fonctionnel et utilitaire. Il construit à partir de 1775 la fameuse ville idéale de la saline de Chaux, dans le Jura, véritable cité usinière ne laissant aucune place à la fantaisie ou à l'improvisation.

D'une façon générale, la sensibilité des Lumières porte à une sentimentalité morale: le temps de l'ironie voltairienne passé, on veut s'apitoyer, avec Rousseau ( la Nouvelle Héloïse, 1761) et les tableaux de Greuze, chercher le beau et le bon éternels. Plus le siècle s'avance, plus la littérature et l'art répudient la gratuité des formes, la légèreté, regardées comme aristocratiques et mondaines, pour aller vers le sérieux, l'authentique et le naturel, bien sûr; bref, vers ce qui est conforme à la morale utilitaire du public bourgeois. D'où le goût croissant pour le néoclassicisme, qui met en avant l'antique, non pas l'antique allégorique de l'époque classique mais un antique historique plus sobre, à la façon du peintre David.
Malgré leur volonté militante, les Lumières n'ont touché que les élites, même élargies aux fractions montantes des bourgeoisies. L'écho, dans ces milieux dominants, est certes considérable en Angleterre et en France, mais plus restreint en Allemagne et en Italie; le public éclairé est très peu nombreux en Espagne ou en Russie, où seuls quelques intellectuels, hauts fonctionnaires et grandes familles participent au mouvement. Le peuple, lui, n'est pas touché: l'immense majorité des paysans, même français, n'a jamais entendu parler de Voltaire ou de Rousseau.

Malgré tout, les Lumières ont ébranlé les certitudes anciennes. Et l'ébranlement ne s'est pas arrêté aux portes du social et du politique: les Lumières ont inspiré la génération révolutionnaire. Ce qui ne signifie nullement qu'elles aient consciemment appelé de leurs vœux la Révolution de 1789.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:12

Le siècle des Lumières


Il est habituel de désigner par cette expression le XVIII e siècle car c'est l'intense activité intellectuelle des écrivains et philosophes qui semble l'avoir marqué. Mais c'est aussi une période de mutations économiques et sociales.

Les mutations économiques
On attribue généralement un rôle prééminent à la France dans l'essor de la civilisation européenne du XVIII e siècle. Sa situation est pourtant ambiguë par rapport à l'Angleterre, instigatrice des mouvements idéologiques et économiques qui caractérisent ce siècle.

Le modèle anglais
L'Angleterre offre l'image d'un pays «libre» où deux révolutions ont détruit le régime de l'absolutisme et de l'intolérance. De telles idées se répandent en Europe grâce aux philosophes français, fascinés par cette application du libéralisme. Par ailleurs, les Anglais sont également à l'origine de transformations que l'on appelle « révolutions »; ces révolutions, agricole et industrielle, bouleversent les données économiques.

Leurs agronomes ont en effet découvert l'avantage du recul de la jachère, de l'utilisation de l'engrais et des plantes fourragères (trèfle, luzerne, sainfoin) dans la rotation des cultures. Ajoutées à l'amélioration du matériel agricole et à l'usage de techniques scientifiques pour l'élevage, ces découvertes ont permis aux grands propriétaires d'accroître leurs rendements. Dans le domaine industriel, l'Angleterre donne également l'élan en substituant de plus en plus la machine-outil à l'homme, aidée en cela par la mise au point du moteur à vapeur (Watt, entre 1765 et 1785), et obtenant ainsi une productivité accrue.

La contribution française
La France tente de se calquer sur les modèles anglais, mais ses innovations ne sont pas aussi profondes: si les progrès sont indéniables, ils restent limités par une organisation communautaire trop traditionnelle des campagnes, et par une industrie trop archaïque dominée par une production artisanale rurale ou urbaine. Un renversement positif de la conjoncture s'opère pourtant et on peut l'attribuer à l'essor du commerce colonial: une intensification des échanges avec les Amériques et l'Afrique (métaux précieux, tabac, sucre, café et traite des esclaves), l'Extrême-Orient (par l'intermédiaire de la Compagnie des Indes) et le Levant développe une prospérité économique signifiée par une hausse des prix de longue durée.

Par ailleurs, l'apport scientifique français est indéniable. Tous les grands domaines sont représentés par des savants novateurs: en chimie, Antoine-Laurent Lavoisier, en mathématiques, le comte Louis Lagrange, Gaspard Monge et Adrien-Marie Le Gendre, ou encore en botanique, Bernard et Laurent de Jussieu. Dès lors, l'esprit humain se délivre des contraintes théologiques et scolastiques pour s'intéresser à la nature dans une nouvelle démarche de recherche des connaissances, caractéristique de l'esprit même des Lumières.

Cette nouvelle conception du monde s'accompagne d'une réflexion sur le gouvernement des sociétés humaines, qui sont elles-mêmes en mutation.

Les mutations sociales et politiques
Un essor démographique accompagne les progrès de cette époque. Une baisse générale de la mortalité, due au recul des trois principaux fléaux que sont la famine, la guerre et la peste, explique ce phénomène: la durée de vie s'allonge en moyenne de 10 ans dans la seconde moitié du XVIII e siècle. Ce type de changement structurel, associé à ceux développés plus haut, ébranle les équilibres sociaux.

Une société inégalitaire
On atteste vers 1740, partout en Europe, de l'existence d'une société d'ordres fondée sur les privilèges. Alors qu'en Angleterre aucun obstacle juridique n'empêche la mobilité sociale, la France donne l'exemple opposé et des groupes sociaux entiers, tels que les paysans, sont ignorés de la nation. Par contre, au sein du tiers-état, la bourgeoisie constitue une classe en pleine ascension dès lors qu'elle profite des développements industriels et commerciaux de cette période. L'essor urbain - généré par le surcroît de population - offre un cadre à ces nouveaux possédants qui cherchent à faire reconnaître leurs avantages en allégeant les entraves politiques et en évoluant vers une nouvelle société: on constate sans étonnement que beaucoup de philosophes et d'écrivains du XVIII e siècle ( Voltaire, Diderot, Rousseau, Beaumarchais, etc) sont issus de famille bourgeoise aisée.

Vers le changement
Un mode de gouvernement exemplaire, où le souverain régnerait «d'après la raison et en vue du bien public» dans un effort de rénovation politique, économique et social, correspond à l'idéal recherché prioritairement par les philosophes français. Le mouvement de réformes engagé dès la seconde moitié du XVIII e siècle par Frédéric II de Prusse, qui supprime le servage, par Catherine II de Russie, ou encore par François II d'Autriche, qui favorise l'instruction populaire et améliore le système judiciaire, dresse l'ébauche du «despotisme éclairé» prôné par Voltaire. Mais l'idéal recherché n'est pas atteint, et le constat final démontre que progrès et autoritarisme ne peuvent s'accorder. Toujours inspirées par le libéralisme anglais, les Lumières continuent cependant de diffuser leurs aspirations réformatrices hors des frontières - le français est la langue de l'Europe culturelle - et, déjà, bien des certitudes anciennes sont ébranlées, annonçant l'arrivée de grands changements.

L'Europe de la fin du XVIII e siècle voit en effet naître presque simultanément une série de troubles révolutionnaires - vraisemblablement portés par l'exemple de la révolution américaine: c'est le cas en Suisse, en Belgique, dans les Pays-Bas, puis en France, où les bouleversements seront les plus graves et les plus significatifs. Ces pays avaient tous au départ des structures sociales et politiques à peu près similaires, remises en question par les idées de liberté, d'égalité et de souveraineté du peuple formulées par les Lumières.
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MessageSujet: Re: Les Lumières (1721/1781)   Les Lumières (1721/1781) EmptyMer 3 Mai - 15:13

L'Encyclopédie
Oeuvre collective (1751-1772)


Une machine de guerre contre l'obscurantisme religieux
Si elle fournit un tableau complet, pour l'époque, de toutes les connaissances et de tous les progrès de l'esprit humain, l'Encyclopédie, œuvre collective (1751-1772) dirigée par Denis Diderot et Jean le Rond d'Alembert, n'en est pas moins une machine de guerre contre l'obscurantisme religieux et contre les institutions du régime monarchique. Elle aura une influence considérable.

Le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, appelé plus couramment l'Encyclopédie de Diderot et de D'Alembert occupe une place exceptionnelle parmi les ouvrages qui ont marqué l'histoire de la civilisation occidentale. Il appartient par excellence au siècle des Lumières et à son rationalisme triomphant. L'un des principaux mérites de ses quelque cent cinquante collaborateurs est d'avoir élargi le champ de réflexion rationaliste aux «arts utiles» dans l'espoir de produire «une révolution dans les esprits».

Dans son Discours préliminaire, d'Alembert place l'Encyclopédie sous le signe éminemment rationaliste de «l'ordre et l'enchaînement des connaissances humaines». Diderot, à son tour, souligne dans l'article «Encyclopédie» qu'il s'agit d'une entreprise profondément ancrée dans un «siècle philosophe», qui cherche à «rendre aux sciences et aux arts une liberté qui leur est si précieuse». A l'instar de son véritable ancêtre, le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (1697), qui bouscula en son temps bien des préjugés en prêchant pour la tolérance et contre la superstition, et qui affirma la possibilité d'être un athée vertueux, l'ouvrage - 17 volumes de texte et 11 volumes de planches gravées dont le premier parut en 1751 et le onzième et dernier volume en 1772 - se donnait pour objectif de produire une «révolution dans les esprits».

Les réactions à la parution
Dès le début de sa parution, l'Encyclopédie va soulever de violentes attaques de la part de ses nombreux détracteurs, qui la jugent subversive: dès 1751, les jésuites s'expriment dans le Journal de Trévoux du P. Berthier, et trois ans plus tard l'ordre religieux et politique est défendu à l'encontre des encyclopédistes par la revue l'Année littéraire de Fréron. L'intransigeance des jansénistes contre ce qu'ils perçoivent comme athée et matérialiste dans l'Encyclopédie se déchaîne dans les Nouvelles ecclésiastiques et dans le Censeur hebdomadaire. Malesherbes, directeur de la Librairie et qui, dans l'entourage royal, soutient l'entreprise, polémique avec Buffon dans ses Observations sur l'histoire naturelle.

Quant à la presse protestante, elle apporte à l'Encyclopédie un soutien réservé; les journaux imprimés en France (les Annonces, le Mercure de France, la Gazette) se contentent d'informer sans prendre parti; le Journal des savants marque son accord avec la partie scientifique et technique, mais se garde bien d'évoquer le contenu philosophique et politique de l'ouvrage. Seuls le Journal encyclopédique de Pierre Rousseau et la Correspondance littéraire de Grimm prennent fait et cause pour l'ouvrage, frappé d'interdiction, en 1752, par un arrêt du Conseil du roi.

Le fondement philosophique
Une triple influence donne ses assises à la doctrine philosophique de l'Encyclopédie: les théories de la connaissance de Descartes, Bacon et Locke sont les sources principales du sensualisme empiriste qui sous-tend l'ouvrage; celui-ci subit également l'influence du spinozisme et celle d'une philosophie politique qui s'inscrit, en gros, dans une monarchie tempérée.

L'hommage à Descartes
Selon la définition qu'en donne Diderot, qui en matière d'histoire de la philosophie tient son scepticisme radical - pyrrhonien - de Bayle et de Fontenelle, le philosophe est un penseur éclectique, qui foule aux pieds les préjugés, les traditions, le consentement universel, l'autorité, et qui ose «penser de lui-même, remonter aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter». Les articles «Philosophie», «Autorité (dans les discours et dans les écrits)» et «Eclectisme», qui décrivent le philosophe comme celui qui s'applique à l'étude des sciences en cherchant à connaître les effets par leurs causes et leurs principes, rendent clairement hommage à Descartes.

Une méthode se référant à Bacon
La volonté de secouer le joug de l'opinion et de l'autorité, de rapporter chaque chose à ses principes propres vise à rendre à la raison tous ses droits. Elle implique, en fait, que la raison doit renoncer à l'esprit de système, notamment à la religion établie, qui fait l'objet d'une critique violente dans les articles «Fanatisme» et «Persécuter», et surtout dans l'article «Prêtre», que signe d'Holbach.

Mais l'abolition de l'ancien système de références s'accompagne obligatoirement du choix d'une nouvelle méthode d'investigation scientifique. Ecartant d'emblée l'innéisme cartésien («il n'y a d'inné que la faculté de sentir et de penser, tout le reste est acquis»), les encyclopédistes affirment que seul le sensible peut conduire à l'abstrait. A l'évidence, cette méthode se réfère à Bacon et à son processus expérimental, en vertu duquel la science est «l'image de la vérité: car la réalité d'existence et la vérité de connaissance ne sont qu'une seule et même chose, et ne diffèrent pas plus entre elles que le rayon direct et le rayon réfléchi». Cette apologie de la science va de pair avec l'engagement de nombreux médecins parmi les collaborateurs scientifiques, mais aussi avec un grand nombre d'articles consacrés au monde animal.

Le matérialisme de Diderot
L'élaboration d'une philosophie matérialiste dans les colonnes de l'Encyclopédie est directement liée aux travaux de Diderot, qui, après avoir admis, dans les Pensées philosophiques, l'existence d'une harmonie naturelle et d'un mécanisme compensatoire des désordres, va renoncer à l'idée que l'ordre universel est réglé comme une horloge. Evoquant les agitations irrégulières de l'océan de l'Univers, il finit par admettre que le monde résulte du «jet fortuit» des atomes. Le matérialisme «vitaliste» de Diderot se reflète en particulier dans les articles «Atomisme», «Corpusculaire» et «Epicurisme» - ce dernier envisageant une matière hétérogène et non créée - ainsi que dans les articles «Leibnizianisme» et «Hobbisme», selon lesquels il existe un rapport organique entre la partie simple et le tout. Sous l'impulsion de son maître d'œuvre, l'ouvrage affirme également la continuité entre matière brute et matière vivante, et souligne la pérennité de la matière et sa tendance au changement (articles «Imparfait», «Impérissable» et «Néant»). De même que les vues matérialistes du poète latin Lucrèce président au très important article «Animal», où sont abordées les questions relatives à l'évolution des espèces, de même les rapports de l'âme et du corps s'inspirent largement du Traité des passions de Descartes et de la vision matérialiste de La Mettrie et du curé Meslier. Ainsi l'article «Affection» établit-il un lien d'interdépendance entre les désordres psychologiques et les troubles organiques.

Amoralisme privé, morale civique
Les conséquences de cette doctrine philosophique se résument en un amoralisme sans ambiguïté (en particulier dans l'article «Liberté»). Mais, paradoxalement, l'Encyclopédie fait à la fois l'apologie du comportement amoral et celle de la vertu, qui est valorisée dès lors que la morale est placée dans une perspective politique. Alors qu'elle tolère l'amoralisme de l'individu privé, elle prêche la vertu du citoyen, comme en témoigne l'article «Chinois»: «Il n'y a qu'un seul principe de conduite: c'est de porter en tout de la sincérité, et de se conformer de toute son âme et de toutes ses forces à la mesure universelle; ne fais point à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse.»

La théorie politique
Les nombreux articles relatifs à la société humaine («Agriculture», «Autorité politique», «Corruption», «Droit naturel», «Egalité naturelle», «Nation», «Oppresseurs», «Peuple», «Représentants», «Théocratie», «Tolérance», «Tyran»...) décrivent les hommes comme des êtres dotés d'une sociabilité naturelle. A cette première notion clé du politique s'ajoute celle d'intérêt général, qui repose sur l'idée que le genre humain constitue une seule et même société: cette société générale est naturellement produite par les besoins et les sensations qui unissent les hommes et créent entre eux des relations d'utilité réciproque.

L'état de nature
La recherche du bien et du bonheur est à l'origine de tous les actes humains, et si un homme agit mal, c'est qu'il ne sait pas choisir les moyens adéquats pour les obtenir. Comme le souligne l'article «Socratique», signé par Diderot: «C'est l'esprit qui nous conduit mal: nous ne sommes criminels que parce que nous jugeons mal; et c'est la raison, et non la nature qui nous trompe.»

Avant de se réunir en société, les hommes vivent dans l'état de nature, que l'Encyclopédie présente tantôt comme une hypothèse théorique, tantôt comme un fait historique. Adhérant à la pensée de Grotius, les encyclopédistes affirment qu'en l'absence de lois sociales et d'une véritable jurisprudence c'est le droit naturel qui règne «dans les actions sociales des peuples sauvages et barbares et dans les conventions tacites du genre humain entre eux».

Le pacte de soumission - le contrat par lequel les hommes s'engagent à obéir à la volonté d'un souverain afin de mettre fin à la guerre de tous contre tous - confère au prince une autorité sur la nation (article «Hobbisme»), cependant «aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres» (article «Autorité politique»).

L'égalité et l'ordre établi
Contrairement à Locke, l'Encyclopédie n'accorde pas le droit d'insurrection au citoyen («Dans les temps de troubles, le citoyen s'attachera au parti qui est pour le système établi», déclare l'article «Citoyen») et reste en deçà de la position lockienne quant à l'étendue des droits réservés au peuple. Elle n'adopte pas non plus la conception rousseauiste de l'égalité. En effet, si l'égalité naturelle est affirmée avec force par le chevalier de Jaucourt dans l'article du même nom, l'égalité politique, elle, est clairement rejetée comme une dangereuse utopie, qui ne tient pas compte de la nécessité de maintenir «des conditions différentes, des grades, des honneurs, des distinctions, des prérogatives, des subordinations, qui doivent régner dans tous les gouvernements».

En vertu d'un vaste plan de réforme, qui constitue la véritable originalité de l'Encyclopédie en matière politique, les philosophes seraient appelés à éclairer le peuple sur ses droits et à fonder la prospérité et la liberté du progrès des arts et de l'industrie. Comme le souligne l'article «Homme (politique)», la liberté est la condition indispensable du progrès économique: «On aura des hommes industrieux s'ils sont libres.»

Les arts et métiers
La réflexion sur les arts et métiers constitue la véritable finalité de l'Encyclopédie, qui eut une influence considérable sur la révolution industrielle. L'ouvrage réserve un traitement philosophique aux «arts mécaniques», en leur accordant la même importance qu'aux «sciences les plus sublimes et aux arts les plus honorés». Ainsi, l'article «Art» rend un hommage solennel à Bacon, qu'il considère comme «un des premiers génies de l'Angleterre regardait l'histoire des arts mécaniques comme la branche la plus importante de la vraie philosophie».

Les cent cinquante collaborateurs de l'Encyclopédie - Diderot, d'Alembert, Condillac, Daubenton, d'Holbach, Marmontel, Montesquieu, Rousseau, Turgot, Voltaire, etc -, qui assistèrent à l'essor du machinisme et des premières manufactures, s'employaient systématiquement à décrire en détail les divers processus de fabrication, en utilisant avec la plus grande précision le vocabulaire spécifique de chaque métier. L'article «Email», remarquable à cet égard, fut rédigé pratiquement sous la dictée d'un artisan.

Si l'Encyclopédie et le «mouvement encyclopédiste» qu'elle a engendré ont pu être qualifiés à juste titre de révolutionnaires, c'est que, à travers la description des arts et métiers, ils ont contribué à l'avancement de technologies nouvelles. D'une manière plus générale, les encyclopédistes ont ouvert la voie au progrès économique en reliant les arts mécaniques à des principes philosophiques et politiques.
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